Que Le Chercheur d'or soit mis au programme des classes préparatoires (en 2005) sur le thème du bonheur peut étonner tant le roman d'initiation est d'emblée mis sous le signe des épreuves caractérisant le parcours que se doit de suivre un héros. Empruntant des airs aux grands mythes (Jason) et aux « hauts faits » de l'Histoire (la guerre 14-18), la quête n'en est pas moins dégradée : le héros est engagé dans une voie de dépouillement, dont les seuls éclats de bonheur sont ceux liés à la mer, à la nature et aux relations fraternelle, amoureuse et amicales. Si l'on regarde les choix de couverture de l'édition poche : du Robinson de dos regardant l'éclat d'une pépite au lieu du ciel (tant les étoiles sont une clef d'entrée majeure du lien entre le Corsaire, le père, Alexis et le trésor) dessiné par André Verret jusqu'au motif grec reprenant le mythe de Jason, chaque mythe est repris pour être déconstruit. (C'est notable dans le jeu de différences avec le Robinson littéraire, voir Etude sur le Chercheur d'or Ellipses, 2005 pages 115-116)
Les multiples identifications du héros (au Corsaire) ou figures dédoublées (Denis l'initiateur ou Odilon le compagnon de guerre) construisent et fragilisent tout à la fois l'identité d'Alexis l'Etang. Alexis, en dépit d'une racine étymologique commune avec Alexandre, en dépit d'être revenu de la guerre, n'est pas un « homme » ( andros ) prêt à assumer le statut de « héros de guerre » pour se complaire dans ce qu'attend de lui la bonne société bien pensante (toute société a ses petits bourgeois et ses cercles mondains, ainsi de Maurice). Sur le chemin d'une dépossession, depuis la ruine familiale jusqu'au moment où il brûle papiers et cartes, il éprouve une « indifférence ». « Je n'ai plus rien », est-il écrit. Le bonheur dont il est question est loin de la doxa occidentale, il est plus proche d'une extase matérielle parfois éprouvée, d'une colère devenue froide vis-à-vis de tous les mécanismes de domination avec ses rouages orchestrés par un oncle, un sirdar, un colon, un blanc. Si le livre de Jacqueline Dutton, plus que d'être une simple monographie sur Le Chercheur d'or , porte le titre du Chercheur d'or et d'ailleurs , c'est pour s'intéresser au thème de l'utopie (sur l'ensemble de l'œuvre de le Clézio), ce qui en dit long de l'accès au « bonheur ». Les éclats de bonheur sont dans les mots d'une toute langue, d'une langue-monde qui invite le créole : ainsi Alexis parle-t-il créole, pidgin, et les mots qui désignent les arbres et fruits sont donc en créole dans le texte. Et ainsi l'or est-il contenu dans de multiples mots : de Laure à l'or (« l'or des mots » comme l'écrit Jacqueline Michel). Les éclats sont aussi ceux de la peau cuivrée de la métisse, archétype forgé dans l'imaginaire d'Alexis depuis la lecture des aventures de Nada the Lily. Il semble qu'Alexis soit « lucide » sur la condition humaine : tantôt solidaire (comme ces soldats qui chantent ensemble), tantôt non (« Un Comorien musulman est pris à partie par un Indien ivre ». Il s'ensuit un combat […] « Les hommes regardent le combat », ou un frère expulse son propre frère…). Porteur de cette lumière de la compréhension, ayant choisi de vivre du côté des opprimés et tout à la fois de participer à une guerre dont le narrateur fait sentir l'absurdité (une guerre que ne gagnent que les poux…), le personnage d'Alexis pose la question de la desappartenance dans toute son ambiguïté. Le roman se clôt sur une ouverture, une incertitude : la rencontre interculturelle avec Ouma ne peut-elle se poursuivre que dans le rêve, dans la contemplation de la mer qui les unissait ?
Isabelle Roussel-Gillet www.matazar.com 2008
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